Portrait de chercheur
La loi de l’infiniment petit
Yves Brun
FACULTÉ DE MÉDECINE
Professeur titulaire au Département de microbiologie, infectiologie et immunologie
Titulaire de la Chaire de recherche Canada 150 sur la biologie cellulaire bactérienne
Ses travaux sont à l’origine de grandes avancées dans la lutte contre l’antibiorésistance. C’est pourtant la compréhension poussée des mécanismes fondamentaux du fonctionnement des cellules bactériennes qui motive particulièrement Yves Brun. « Tant mieux si cela favorise la mise au point de nouveaux antibiotiques. Mais ce qui importe plus en recherche fondamentale, c’est d’en faire », affirme celui qui a rejoint les rangs du Département de microbiologie, infectiologie et immunologie de l’Université de Montréal en 2019.
En témoigne sa méthode d’observation inédite au microscope, qu’ont adoptée de nombreux scientifiques aux quatre coins du monde, que ce soit pour étudier les mécanismes de base de croissance des microorganismes, comprendre le mode d’action de certains antibiotiques ou en fabriquer de nouveaux. Mais cela ne s’arrête pas là pour le scientifique. À preuve, la percée majeure qu’il vient de réaliser dans la foulée de ses recherches sur la synthèse de la paroi cellulaire bactérienne et l’adhérence des bactéries aux surfaces (biofilms). « Nous sommes à mettre en évidence un mode de croissance des bactéries jamais vu auparavant. Pourquoi est-ce si intéressant? Parce que mieux on peut expliquer les mécanismes de croissance des bactéries, dit-il, mieux on peut les inhiber au moment opportun, comme lorsqu’elles résistent aux antibiotiques. »
Fervent adepte de l’interdisciplinarité, Yves Brun veut également intéresser la population à l’univers microbien et à l’antibiorésistance. De quelle façon? En menant un projet collaboratif avec Les scientifines, les Water Rangers et la Société des arts technologiques. « On va raconter le monde poétique des bactéries, en démontrant qu’une majorité d’entre elles sont bénéfiques pour l’organisme. » Un pari audacieux, unissant sciences et arts, qu’il entend relever une fois qu’auront été levées les mesures sanitaires prises pour stopper la pandémie. D’ici là, les mois qui viennent s’annoncent chargés pour l’éminent professeur-chercheur, dont les publications sont hautement estimées partout dans le monde.
Où en est-on sur le front de la lutte contre l'antibiorésistance?
On fait des découvertes régulièrement. Certes, on trouve de nouveaux antibiotiques. Mais on ne parviendra jamais à créer le médicament miracle.
Car dès qu’on en fabrique un nouveau, la sélection naturelle fait en sorte qu’on produit automatiquement des bactéries qui y opposent encore plus de résistance, en raison de leur multiplication et de leur évolution rapide. Sans oublier la surutilisation des antibiotiques, qui prépare elle aussi le terrain à une résistance bactérienne accrue. Alors oui, on avance, mais les bactéries aussi…
Qu'est-ce qui vous enthousiasme le plus dans vos travaux sur la formation du biofilm?
C'est la perception tactile des bactéries. On sait maintenant que, afin de s'accrocher à une surface, elles sécrètent une colle à laquelle plusieurs milliards de bactéries adhèrent, formant ainsi une colonie, qu'on appelle biofilm. Or, on veut déterminer comment et à quel moment précis les bactéries déclenchent ce mécanisme. En comprenant mieux les premières étapes de ce processus tactile, de synthèse et de sécrétion du bioadhésif, on pourra concevoir des molécules qui inhiberont la formation de biofilms potentiellement pathogènes sur les surfaces.
Selon vous, quelles sont les clés pour optimiser l'interdisciplinarité?
Il faut trouver des collaborateurs qui sont fondamentalement intéressés par la question scientifique qu'on pose. Or, on rencontre plus souvent des gens qui ne cherchent que des applications pour leur produit. Ça peut marcher, mais le plus souvent pour un temps. À mon sens, il importe aussi d'avoir la patience d'apprendre le langage de l'autre, même si son domaine ne semble pas si éloigné du nôtre. Selon mon expérience, la réelle convergence des champs d'intérêt et l'adoption d'un langage commun mènent aux collaborations les plus fructueuses.