Inspirer la prochaine génération
Isabelle Ferdinand
Chef du service de rhumatologie de l’Hôpital Notre-Dame et chargée d’enseignement clinique à la Faculté de médecine
Je suis née à Montréal et j’ai grandi sur la Rive-Sud, à Sainte-Julie. J’ai d’abord fait un baccalauréat en sciences nutritionnelles et diététiques à l’Université McGill. Puis, j’ai travaillé comme nutritionniste à l’hôpital Royal Victoria, où je côtoyais quotidiennement des professionnels de la santé. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à m’intéresser à la médecine. Un jour, je dînais à la cafétéria avec des collègues et je leur ai confié que je pensais m’inscrire en médecine. Elles m’ont dit : « Vas-y! Tu serais super bonne. » Je me rappelle m’être aussitôt levée pour aller remplir ma demande d’admission. C’était très spontané! J’ai été acceptée au doctorat à l’Université Laval et j’ai ensuite fait le programme de médecine interne à l’UdeM. Ma passion pour la rhumatologie est née pendant un stage. C’est une spécialité très visuelle et cérébrale : on peut faire des diagnostics différentiels simplement en voyant un patient et l’on est souvent appelé à dépister des maladies auto-immunes rares.
Les personnes noires sont sous-représentées dans les études de médecine. Comment avez-vous vécu cette réalité?
Ce manque de modèles a été l’un de mes principaux défis. En 2008, j’étais la seule étudiante noire de ma promotion à l’Université Laval. Je connais des gens qui ont étudié en médecine des années plus tard et leur constat était le même : 1 ou 2 personnes noires pour 200-250 étudiants et étudiantes. Au moment de m’inscrire, je me suis posé toutes sortes de questions : pourquoi y avait-il si peu de femmes noires en médecine? Allais-je être capable de performer aussi bien que les autres? Et ne devais-je pas plutôt m’orienter vers une autre carrière? Je savais que les études de médecine étaient exigeantes et le fait d’être l’une des seules étudiantes noires ajoutait à mon anxiété. Je sentais tout le poids de la communauté sur mes épaules. À l’époque, j’aurais aimé avoir une mentore qui m’aurait conseillée. C’est un rôle que je joue aujourd’hui.
Vous êtes membre du comité Équité et diversité de la Faculté de médecine. Quelles mesures permettent une meilleure représentation des communautés noires?
Grâce à ce groupe de travail, j’ai réalisé que, si plusieurs personnes noires s’inscrivent en médecine, peu sont acceptées. Notre objectif était de désigner les goulots d’étranglement et de faire des recommandations pour favoriser leur admission. Par exemple, la fameuse cote R. Ce n’est pas une cote R de 40 qui fait un bon médecin! Une cote R seuil a donc été établie pour permettre l’examen de plus de demandes. On a aussi mis en place un formulaire d’autodéclaration optionnel : les candidats et candidates qui le remplissent et qui répondent aux exigences d’admission ont plus de chances de se voir proposer une entrevue, puisqu’un contingent est prévu pour les personnes noires. Ces mesures ont été mises en place en 2020 et en 2021. En 2022, 19 personnes noires ont été admises. Du jamais vu au Québec!
Comment favoriser l’inclusion des communautés noires dans le milieu médical québécois?
L’inclusion, c’est un choix. À la base, il doit y avoir une volonté d’intégrer les communautés sous-représentées dans les professions médicales. Pour qu’il y ait des changements profonds, les hautes directions doivent aussi être diversifiées. C’est important que la médecine reflète la société. Certains quartiers multiculturels de Montréal, notamment Saint-Michel et Montréal-Nord, peinent à recruter des médecins de famille. Si l’on a grandi dans l’un de ces quartiers, on sera plus enclin à y retourner et à aider sa communauté.
Quel message adresseriez-vous aux personnes noires qui aimeraient faire carrière en médecine?
La médecine, c’est un rêve accessible! Il faut croire en ses capacités et foncer. D’ailleurs, je suis très fière d’avoir créé la bourse Isabelle-Ferdinand, qui sera remise ce printemps à une étudiante ou un étudiant en médecine issu des communautés noires. Je me sens très privilégiée de faire carrière en médecine et c’est important pour moi de donner au suivant.