Plusieurs personnes remettent en question le sous-financement des universités québécoises. Et pour étayer leur propos, tous référent à la même source : le « Bulletin no 40 » diffusé en 2011 par le ministère de l’Éducation. Le même bulletin que Francis Vailles citait, dans La Presse de samedi, pour questionner l’efficacité de nos universités.
Que dit ce fameux bulletin? Que les universités québécoises dépensent en moyenne par étudiant plus que les universités des autres provinces, soit 29 242 $ contre 28 735 $. Chaque fois que je vois ces chiffres, je crois rêver. À l’UdeM, si on ne compte ni HEC Montréal, ni Polytechnique Montréal, nos deux écoles affiliées, nous accueillons 45 000 étudiants. Sur cette base, un calcul rapide établirait à environ 1,3 milliard de dollars notre budget annuel, soit plus, beaucoup plus, que les 750 M$ que nous dépensons actuellement en une année. Avec une telle somme, ni moi ni mes collègues recteurs québécois ne se plaindraient plus de rien.
Comment l’auteur du bulletin en arrive-t-il à ces chiffres? En faisant un calcul qui défie toute logique, c’est-à-dire en additionnant le total des dépenses de fonctionnement, les dépenses d’immobilisation et les dépenses en recherche. Autant dire qu’on mêle les pommes, les carottes et les potirons!
Sauf pour des motifs idéologiques, personne ne peut légitimement s’appuyer sur ce calcul pour donner une image juste de la réalité budgétaire des universités du Québec. Non seulement on ne peut pas le faire, mais si on le fait, on laisse entendre que les universités québécoises sont « plus riches » que leurs consœurs des autres provinces.
Ce qui est rigoureusement faux, comme je l’ai expliqué hier en m’en tenant uniquement aux revenus de fonctionnement. Ce qui est doublement faux si on ajoute aux dépenses de fonctionnement les dépenses de recherche et d’immobilisation. Et voici pourquoi.
Des fonds de recherche versés aux professeurs… et aux étudiants!
Lorsque les gouvernements du Québec et du Canada subventionnent les recherches de nos professeurs, ils ne versent pas les fonds aux universités, mais bien plutôt aux chercheurs eux-mêmes. Non seulement ces sommes servent uniquement à financer des activités de recherche (et les détourner pour payer autre chose serait illégal !), mais une part significative des subventions reçues – jusqu’à 75 % dans certains cas – sert à payer des étudiants de 2e et 3e cycles pour mener des travaux dans le cadre d’un projet de recherche. Bref, c’est aussi, une forme d’aide financière.
Que nos professeurs se démarquent aux concours subventionnaires canadiens, c’est tout à leur honneur. Mais qu’on utilise leurs succès dans le domaine de la recherche pour ensuite justifier un sous-investissement dans le volet enseignement de leur tâche, voilà qui me choque profondément.
Immobilisation : mais où voulez-vous qu’on les mette?
L’auteur du bulletin no 40 ne s’arrête pas en si bon chemin. Après les fonds de recherche, il ajoute les dépenses d’immobilisation. C’est un peu comme si j’additionnais mon solde hypothécaire au salaire que je déclare à l’impôt. Le fisc me trouverait, au mieux, un peu bête.
Outre que cette façon de présenter les choses défie la logique la plus élémentaire, elle cache un phénomène inquiétant pour nos universités. Il est vrai que le gouvernement a soutenu le développement du parc immobilier universitaire ces dernières années. Mais il y a une raison à cela : les inscriptions explosent.
En 15 ans, le nombre d’étudiants a augmenté de près de 40 % à l’Université de Montréal. Et la superficie du campus n’a pas suivi. Nous partions déjà avec un retard important, voici qu’aujourd’hui nous disposons de 50 % moins d’espace que l’Université de Colombie-Britannique pour accueillir nos étudiants.
Bref, nous sommes en rattrapage. Un rattrapage nécessaire, que le gouvernement n’a pas le choix de financer, à moins de bloquer les inscriptions à l’université. Parfois, l’accessibilité commence aussi par de la brique et du mortier.
Du poids du sous-financement à l’ère des compressions
Pour toutes ces raisons, je suis persuadé, comme bien d’autres d’ailleurs, qu’il est inutile de parler de « dépense globale », comme le fait le gouvernement – le même gouvernement qui, pourtant, reconnaissait le sous-financement universitaire.
L’article de M. Vailles est le dernier en date d’une longue série d’interventions publiques qui accablent le milieu universitaire à partir de données tendancieuses. En le lisant, j’en suis venu à penser que la société québécoise a décidé de coller une punition à ses universités.
Comme récompense à un élève modèle, c’est vraiment dommage.