Nommer l’injustice
Charlène Lusikila
Étudiante de maîtrise en travail social à la Faculté des arts et des sciences
J’ai travaillé plusieurs années dans des milieux communautaire et institutionnel, notamment comme travailleuse sociale. Puis, en mai 2020, il y a eu la mort de George Floyd. C’était une période particulière : on était en pleine pandémie et je venais de commencer un nouvel emploi. Cet évènement est vraiment venu me chercher. Je me disais : « Ça aurait pu être mon frère, mon cousin, mon fils. » Je me suis demandé pourquoi il m’avait atteinte autant. Mais aussi pourquoi on ne faisait rien pour dénoncer cette injustice dans mon milieu de travail. Moi-même, pendant mes études et mon parcours professionnel, j’ai été confrontée à ce que je sais aujourd’hui être des microagressions. J’ai décidé de retourner à l’école pour faire une maîtrise sur ces questions qui m’intéressent vraiment.
Sur quoi porte votre mémoire ?
Il analyse les expériences de racisme que vivent les travailleuses sociales noires à Montréal et le sens qu’elles leur donnent. Être une personne noire dans notre société vient avec son lot de défis, même s’il y a aussi de belles choses. J’ai longtemps hésité à me pencher sur ces questions. Toute ma vie, j’ai appris à me taire, à ne pas faire de vagues. Au départ, je voulais comprendre pourquoi l’alliance thérapeutique entre personne racisée et intervenante ou intervenant racisé était souvent plus fluide. Mes réflexions ont beaucoup évolué en trois ans. L’air du temps a contribué à me donner de l’assurance, tout comme le fait d’être entourée de gens noirs qui s’intéressent à des thématiques similaires.
Quel message aimeriez-vous transmettre aux personnes noires qui aspirent à une carrière en travail social?
C’est une très belle profession et elles y ont leur place. Qu’on en ait conscience ou non, l’esclavage et la colonisation ont laissé des traces dans nos vies. Peu importe nos origines et notre parcours individuel, nous portons en nous cette histoire noire collective qui se transmet de manière intergénérationnelle et qui nous donne une sensibilité particulière à la souffrance. C’est du moins ce que je ressens en me basant sur ma propre histoire. Je pense que c’est un plus pour comprendre l’être humain. Je dirais aussi qu’il ne faut pas avoir peur de nommer l’injustice qu’on subit. Les personnes noires sont confrontées à du racisme, c’est prouvé. Il faut aborder ces questions dans les salles de classe et les milieux de travail. Cela dit, notre époque est beaucoup plus ouverte que lorsque j’ai terminé mon baccalauréat en travail social, il y a une dizaine d’années. Il y a de l’espoir.
Trouvez-vous que les questions liées à la discrimination sont suffisamment abordées à l’UdeM?
Je ne peux pas me prononcer pour toute l’Université, mais je trouve qu’il y a eu de belles avancées à l’École de travail social. En 2020, dans la foulée de la mort de George Floyd, un comité antiraciste et inclusif a été créé à la suite de réflexions de membres du corps enseignant, d’étudiantes et d’étudiants racisés. Comme auxiliaire de recherche, j’ai contribué à la création d’une formation antiraciste. À une époque où ces enjeux sont étudiés par les médias et la littérature scientifique, j’aimerais voir davantage de personnes non racisées se sentir concernées. Par exemple, elles peuvent se demander comment utiliser leurs privilèges pour combattre les inégalités sociales; s’assurer que les théories et le corpus des cours traduisent une diversité ethnoraciale; mettre en question la représentation des professeures et professeurs racisés dans les différents départements et les comportements qui contribuent à les marginaliser; trouver des stratégies pour recruter des étudiantes et des étudiants racisés afin de refléter davantage la démographie de Montréal.
Que signifie le Mois de l’histoire des Noirs pour vous?
Pour moi, c’est un temps d’introspection, de réflexion et de projection dans l’avenir. C’est l’occasion de voir d’où l’on vient, de se rappeler les luttes qu’on a menées, celles qu’on a gagnées et celles qui restent à faire, de commémorer les moments plus difficiles, mais aussi de célébrer les victoires et de rêver le futur. Je trouve beau de voir les forces de toutes les communautés noires, leurs différents parcours, notre joie de vivre commune. Il y a de belles choses qui nous attendent.