Réduire les inégalités en éducation
Pierre Canisius Kamanzi
Professeur agrégé au Département d’administration et fondements de l’éducation de la Faculté des sciences de l’éducation
Je suis originaire du Rwanda et je suis venu étudier au Québec grâce à une bourse d’excellence de la Francophonie. Je pensais faire ma maîtrise en sciences de l’éducation à l’Université Laval et rentrer ensuite au pays, mais je me suis passionné pour mes études et j’ai décidé de poursuivre au doctorat. En côtoyant certains de mes professeurs, dont mon directeur, le regretté Pierre W. Bélanger, je me suis intéressé à la lutte contre les inégalités sociales en éducation. J’occupe aujourd’hui un poste en sociologie quantitative à l’UdeM et mes recherches portent sur les facteurs qui créent les inégalités sociales en éducation dans une approche statistique.
Selon vous, quelles sont les inégalités qui persistent dans l’enseignement supérieur au Québec?
Aujourd’hui, on observe des inégalités de genre : les taux de diplomation au collégial et à l’université sont plus élevés chez les filles. On pense que la régionalisation de l’enseignement supérieur a réduit les inégalités entre les régions rurales et urbaines, mais il y a toujours des disparités. Il y a surtout des inégalités en fonction des origines ethniques et socioéconomiques ‒ diplômes des parents, leur revenu et leur profession. Je me penche aussi sur les inégalités que vivent les élèves ayant des difficultés d’adaptation physique, des difficultés sociales ou scolaires.
Qu’en est-il des communautés noires?
Depuis plusieurs décennies, on constate que les personnes noires vivent de la discrimination. Les universités sont des établissements publics qui mettent en œuvre les politiques d’accès égalitaire à l’éducation. Encore faut-il que les étudiants noirs aient droit au même traitement que les autres et puissent accéder à toutes les filières, incluant les plus prestigieuses comme la médecine, le droit et la pharmacie. Dans le cadre d’un projet de recherche dirigé par une de mes collègues, auquel j’ai participé comme cochercheur, des étudiantes et étudiants interviewés ont témoigné qu’ils n’étaient pas traités comme les autres pendant leurs stages et qu’ils avaient besoin de soutien pour être reconnus auprès des patients. Ils avaient pourtant bien réussi leurs cours théoriques, ce qui était d’autant plus décourageant pour eux. Probablement que ce genre de situation se produit aussi dans d’autres domaines de formation. Pour atteindre l’équité, les universités peuvent offrir des ressources aux personnes qui en ont besoin. Ce n’est pas une faveur : tout le monde y gagne. En permettant aux différents groupes de réussir, on réduit certains problèmes sociaux. Et, comme le disait Pierre W. Bélanger : en excluant les gens de milieux défavorisés et multiethniques, on se prive de « maudits bons médecins » et de « maudits bons juristes »!
Quel rôle les professeures et professeurs peuvent-ils jouer pour réduire ces inégalités?
Ils doivent partir du principe que tout élève est éducable et peut réussir, peu importe ses lacunes, et qu’ils ont le devoir d’apporter leur soutien à celui ou celle qui en a besoin. Comment? En l’aidant à s’intégrer au groupe, en lui donnant la parole en classe et en lui montrant de l’intérêt, bref en le valorisant comme les autres. J’ai vécu cette situation moi aussi pendant mes études : j’étais à l’écart. Aussi, lorsqu’une personne est à risque d’être marginalisée ou de se décourager, j’essaie de lui trouver une équipe bienveillante et de la soutenir psychologiquement et moralement.
Comment abattre les barrières systémiques qui freinent les communautés noires ou marginalisées?
Les politiques publiques ont l’objectif de diminuer les inégalités, mais pour différentes raisons, elles peuvent les accentuer. On n’a qu’à penser à l’école à trois vitesses au secondaire. Personnellement, je pense que les organisations et le gouvernement auraient avantage à s’évaluer périodiquement pour apprécier les réalisations accomplies et cibler les défis à relever. Sinon, ça reste de beaux discours. Au Québec et au Canada, il y a des avancées concrètes, mais certains aspects peuvent toujours être améliorés.