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Université de Montréal

J’ai grandi en Côte d’Ivoire à une époque où il y avait une belle cohabitation entre les différentes communautés religieuses. Au moment des attentats du 11 septembre 2001, je travaillais comme journaliste pour un quotidien du Connecticut, à environ une heure et demie de Ground Zero, à New York. Pour moi, ç’a été un choc. J’ai voulu comprendre les origines de ces attaques d’un point de vue sociologique. C’est ce qui m’a amenée à faire une maîtrise en études islamiques à l’Université McGill. Pour mon doctorat, je me suis intéressée aux phénomènes d’intersection entre les croyances religieuses et l’identité sociale, plus particulièrement aux expériences des femmes. Il en a résulté un livre qui a été publié en 2019 aux Presses de l’Université de Montréal : Des musulmanes ouest-africaines au Québec : entre subversion et conformité. En parallèle, j’ai travaillé pendant une douzaine d’années pour des organismes communautaires comme formatrice et intervenante.

Sur quoi portent actuellement vos recherches?

J’étudie la citoyenneté culturelle de personnes originaires d’Afrique subsaharienne vivant au Québec et les enjeux liés à la spiritualité, la façon dont elles se racontent, mettent en scène leur soi, leurs trajectoires et leurs circonstances. Au Québec, la religion est pratiquement taboue. Pourtant, les croyances influencent tous les aspects de la vie, que ce soit la résolution de conflit, l’intégration à la société et même la santé mentale. Je recueille actuellement des récits de gens qui, parfois, sont arrivés au pays à pied pour obtenir le statut de réfugiés. Certains affirment que le surnaturel les a sauvés de la guerre et leur a permis de traverser les frontières. S’ils éprouvent de la détresse psychologique, plutôt que de faire appel à la psychothérapie ou à la psychiatrie, ils consulteront une prêtresse vaudoue, l’imam de leur mosquée ou le pasteur de leur église pentecôtiste. À cause de la discrimination raciale et du colonialisme, ils sont souvent méfiants à l’égard des systèmes de santé et de services sociaux. La place des croyances et de la spiritualité dans tous ces aspects de leur vie ne ressort pas dans les études sociologiques classiques.

En quoi vos recherches permettent-elles de mieux comprendre les réalités des personnes noires au Québec?

Les personnes noires sont confrontées à l’inéluctabilité de leur différence, même si leur famille vit ici depuis trois générations. Cette différence est bien réelle et palpable au quotidien, indépendamment du milieu dont elles sont issues, de leur niveau d’éducation, du fait qu’elles parlent français ou non. Il est important de nommer cette différence parce qu’elle a des conséquences très malheureuses : l’exclusion, la marginalisation, la discrimination. En décrivant et analysant la réalité des personnes noires, on les sort de l’invisibilité, on les humanise, on leur permet d’être mieux comprises des instances politiques et du grand public, on favorise leur intégration. Se raconter, c’est reprendre du pouvoir.

Comment l’UdeM pourrait-elle favoriser davantage l’inclusion des personnes et des communautés noires?

Aux États-Unis et au Canada, il existe des programmes de Black Studies et d’African Studies, mais pas dans les universités francophones québécoises. Je pense qu’une première étape serait de valoriser l’étude des cultures noires du monde. D’ailleurs, je fais partie d’un groupe de travail qui évalue la possibilité de créer un programme en études noires à la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal, avec le soutien du Centre de recherche interdisciplinaire sur la justice intersectionnelle, la décolonisation et l’équité [CRI-JaDE]. On a tendance à parler des communautés noires en mettant l’accent sur les discriminations, le racisme, les gangs de rue, alors qu’il existe des traditions littéraires, artistiques et philosophiques, parfois précoloniales, qui sont peu connues de nos milieux d’enseignement. Ce genre de programme permet aux membres des communautés étudiante, professionnelle et de la recherche afrodescendantes d’avoir une reconnaissance autrement qu’à travers un discours pathologisant.