Le Québec est sous la pluie. C’est un jour de deuil, pour une nation qui a perdu un homme immense, pour notre communauté universitaire aussi. Parce qu’on dit trop peu combien Jacques Parizeau aimait l’université, combien il aimait être professeur. C’était l’autre passion de sa vie. Elle était d’ailleurs directement liée à l’autre, celle du Québec. Le savoir, le savoir économique surtout, comme essentiel levier à la réalisation du destin qu’il voulait pour son peuple.
Je peux en témoigner, de cet amour pour l’université. J’étais à ses côtés pour ce qui fut l’un de ses derniers événements publics. C’était le 5 octobre dernier, au siège de la Caisse de dépôt et placement du Québec, un lieu qui portera désormais son nom. L’endroit avait été choisi à dessein. C’est là, dans ce symbole financier de l’État québécois, dans l’institution qu’il avait créée, que nous avions convenu de lui décerner un doctorat honorifique.
Le géant était frêle, mais tout sourire. Et si ému. Lui qui avait tout vécu, tout fait, tout bouleversé, lui l’homme d’État, le premier Québécois détenteur d’un doctorat de la London School of Economics, était profondément touché de voir son université, son HEC, lui accorder la reconnaissance ultime.
Je lui avais dit : « Votre contribution au Québec est inestimable. Par votre engagement académique, politique, patriotique, vous avez été dans le poste de pilotage du Québec pendant plus de 60 ans; vous avez ainsi guidé le Québec depuis la Grande noirceur jusqu’à la mondialisation. Le Québec, n’est pas le pays dont vous rêvez encore, mais les Québécois savent qu’ils peuvent le faire ce pays. Vous avez amené les Québécois à l’indépendance d’esprit. »
Dans son discours d’acceptation, la voix étranglée par l’émotion, il a déclaré : « Cet honneur consacre dans mon esprit les deux démarches de ma vie, l’enseignement et l’organisation des affaires de l’État. »
Aujourd’hui, de partout, de ses rangs et des rangs de ses adversaires, qui sont eux aussi bien garnis, les hommages à Jacques Parizeau affluent. En ce jour triste, les divergences de vues s’éclipsent devant l’œuvre colossale de cet homme qui a changé la trajectoire du Québec.
Il y a peu d’hommes dont on peut dire qu’ils ont apposé leur signature sur une société. Mais Jacques Parizeau est de cette envergure. Les institutions qu’il a créées, de la Caisse de dépôt, à la Régie des rentes, à la SGF (devenue Investissement Québec) demeurent au cœur de notre État. Mais ces instruments ne sont qu’une partie de son legs titanesque. Jacques Parizeau, comme intellectuel et financier et universitaire, aura défoncé le mur qui empêchait les Québécois de rêver grand. Il a incarné l’ambition économique, il a été le chevalier derrière l’émergence d’une classe d’entrepreneurs francophones. Jacques Parizeau incarnait la fin du Québec né pour un petit pain.
Et tout le raccordait à l’université. C’était un continuum. Université-jeunesse-ambition-pays.
Vous avez tout donné, Monsieur Parizeau. Vous pouvez enfin vous reposer.