Cette lettre ouverte est parue dans l’édition du 13 février 2016 de La Presse.
Sous le titre « S.O.S. savoir », Paul Journet plaidait la semaine dernière pour une relance de l’économie québécoise qui passerait essentiellement par l’innovation et l’éducation. « Éduquer et innover. Voilà les deux verbes qui devraient guider Québec », écrivait avec aplomb l’éditorialiste de La Presse. Sa voix s’ajoute à plusieurs autres qui se sont prononcées ces dernières semaines en faveur d’une stratégie de développement économique axée sur le savoir.
Nos universités ont un rôle central à jouer dans ce développement, non seulement en éducation – c’est l’évidence – mais aussi en recherche et en innovation. Le fait est peu connu, y compris des universitaires eux-mêmes : les universités réalisent 40 % de toute la recherche et développement qui se fait au Canada comme au Québec. Elles forment le deuxième pôle en importance dans ce domaine hautement stratégique, tout juste derrière les entreprises commerciales.
Et c’est sans compter le rôle indirect qu’elles jouent, en diplômant chaque année des milliers de jeunes dont certains se feront entrepreneurs ou iront mettre leurs compétences au service des laboratoires des secteurs publics ou privés. Toutes les études le confirment : le potentiel d’innovation d’une société est directement proportionnel au niveau de scolarisation de sa population. Et sur ce plan, le Québec a grandement progressé au cours des dernières décennies : 32 % des 25-34 ans sont aujourd’hui titulaires d’un diplôme universitaire, contre à peine 5 % au début des années 60 !
Un modèle qui a fait ses preuves
Recherche et innovation ne sont pas partout dans le monde inscrites dans la mission des universités. Mais c’est un trait distinctif du modèle universitaire nord-américain : nos établissements sont pleinement intégrés au processus de l’innovation sous toutes ses formes – technologique, scientifique, sociale, culturelle et économique – et constituent autant de lieux de formation à la recherche.
Dans les grandes universités du Canada et des États-Unis, plus du quart des étudiants sont inscrits à la maitrise et au doctorat, le travail professoral se partage entre l’enseignement et la recherche, et les études, même les plus théoriques, peuvent déboucher sur des solutions innovantes aux problèmes qu’affrontent nos sociétés modernes.
Certains critiquent ce modèle, sous prétexte que les étudiants de premier cycle font les frais d’un déséquilibre en faveur des activités de recherche. Je pense au contraire qu’il s’agit d’une richesse pour nos étudiants, et d’un atout pour notre société. L’éducation et l’innovation, l’enseignement et la recherche, la transmission et l’invention sont les deux facettes d’une seule et même réalité, celle de l’avancement de notre monde par le savoir. Les pays où la recherche est complètement disjointe de l’enseignement supérieur, comme la France, doivent aujourd’hui repenser leur stratégie d’innovation.
Montréal, reine de la recherche
De toutes les villes canadiennes, Montréal est peut-être la mieux placée pour négocier le virage vers le transfert technologique et scientifique et l’innovation sociale. Avec ses quatre universités, dont deux dans le 1% des meilleurs établissements au monde, la métropole est depuis quelques années considérées comme la reine de la recherche, devant Toronto. Les établissements montréalais injectent près de 1,5 milliard de dollars par année dans la recherche, de pointe et appliquée.
Voilà pourquoi, en dépit de sa productivité très moyenne, Montréal fait mieux que la plupart des grandes villes nord-américaines quand on regarde la part de sa main-d’œuvre dans les secteurs d’avenir. Des champs d’activité multidisciplinaires comme le big data, l’intelligence artificielle, la bioinformatique, la science des nouveaux matériaux, la réalité virtuelle, le secteur biomédical ou encore les sciences de l’environnement, constituent autant de filières de demain où Montréal est déjà en position de force.
C’est de bon augure pour le développement économique de la région métropolitaine. Après des années de croissance dopée par l’exploitation du pétrole et des matières premières, le Canada subit le contrecoup d’une baisse généralisée de la demande mondiale. Dans ce contexte déprimé, on redécouvre les vertus de l’économie immatérielle du savoir. Et Montréal, la deuxième ville universitaire en importance d’Amérique du Nord, offre une pépinière de talents sans égale et des pôles d’innovation qui ne demandent qu’à grandir.
Le premier ministre Philippe Couillard l’a bien compris et a très clairement laissé entendre ces derniers temps que l’avenir du Québec ne passera pas par les énergies fossiles. L’exploitation des ressources naturelles, bien entendu, sera toujours un facteur important de croissance dans un pays qui repose sur d’immenses bassins de matières premières. Mais il est clair que c’est par une autre forme de prospection – la prospection de la connaissance – que se bâtira le Québec de demain.