Tous les recteurs s’interrogent à un moment ou un autre de leur mandat sur ce qu’est l’université, sur les différents modèles institutionnels qui existent et sur le délicat équilibre qui doit se faire entre les deux volets de la mission universitaire, l’enseignement et la recherche. Mais ce ne sont pas tous les recteurs qui consacrent à la question des écrits savants et documentés.
C’est ce qu’ont fait l’an dernier mon prédécesseur Robert Lacroix et son complice de toujours, Louis Maheu, ancien doyen de la Faculté de études supérieures. L’un est économiste, l’autre sociologue, et c’est sans doute ce mélange des regards disciplinaires qui fait tout l’intérêt de leur ouvrage paru aux Presses de l’Université de Montréal, Les grandes universités de recherche. Le livre mêle habilement perspectives historiques, sociologie des universités modernes et hypothèses sur les liens entre niveau de développement économique d’une société et maturité de son système d’enseignement supérieur.
Je vous parle de ce livre aujourd’hui pour une raison bien simple : il est en lice pour le prix Donner, qui récompense annuellement les meilleurs ouvrages d'analyse et de recherche en politiques publiques au Canada.
Comme son titre l’indique, cette étude se consacre essentiellement au petit groupe d’établissements qui se caractérisent par un volume significativement important d’activités de recherche – environ 400 universités sur les quelque 16 000 qui existent dans le monde. On tend à l’oublier, mais l’introduction de la recherche dans le milieu universitaire est relativement récente. C’est au XIXe, en Allemagne, que ce modèle est né, en rupture avec l’organisation traditionnelle des universités européennes.
Par un curieux revirement, l’université de recherche a plutôt fleuri de ce côté-ci de l’Atlantique. Les universités américaines de l’Ivy League l’ont porté à un degré d’achèvement inégalé, et c’est ce modèle qui domine de nos jours aussi bien dans les classements internationaux – auxquels les auteurs consacrent des pages éclairantes – que dans l’imaginaire collectif. Le Canada, lui aussi, a suivi cette voie et même si nos universités, qui sont toutes publiques, ne disposent pas des ressources financières considérables des universités privées américaines, elles demeurent surreprésentées dans les classements internationaux par rapport à la taille de la population canadienne.
C’est l’autre intérêt de l’ouvrage de MM. Lacroix et Maheu : on y trouve une description fort intéressante des particularismes de quatre systèmes universitaires nationaux – les systèmes britannique, américain, canadien et français. Des pages consacrées au système canadien, je retiens plusieurs choses.
D’abord, la rapidité avec laquelle les universités de recherche se sont développées ici. En 1940, nos universités, d’un océan à l’autre, décernaient 75 doctorats par année et 87 % de ces diplômes étaient remis par deux universités, McGill et l’Université de Toronto. Le doctorat, dois-je le rappeler, est un indicateur fiable de l’intensité de l’activité de recherche dans une université. L’an dernier, il s’en est décerné plus de 7000 au pays, dont 528 à l’UdeM. L’expansion des études supérieures au Canada a été spectaculaire, et sans doute unique dans le monde occidental au cours du dernier demi-siècle.
L’autre chose que je retiens de cette lecture, et cela devrait rassurer tous ceux qui s’inquiètent de la « commercialisation » de la recherche universitaire, c’est la place plutôt congrue qu’occupe la recherche financée par l’industrie. Vrai, la proportion des activités scientifiques réalisées avec l’aide des entreprises a augmenté depuis 20 ans. Mais que ce soit aux États-Unis ou au Canada, cette proportion n’excède guère 10 % du total des activités de recherche des universités. La grande majorité de la recherche universitaire est financée par l’État, selon un processus d’évaluation des projets par les pairs qui demeure, même à l’heure de l’université « dé-tourdivoirisée », le meilleur gage de la qualité des projets et de l’indépendance des chercheurs.
J’ai toujours considéré pour ma part que les partenariats avec l’industrie ne devraient pas être considérés comme le signe d’un dévoiement de la mission universitaire. L’explosion de la R-D dans le monde industriel et postindustriel est le phénomène décisif du dernier siècle et les universités comme les entreprises ont tout à gagner à travailler ensemble, dans le respect de leurs missions respectives.
Le prix Donner sera décerné demain. On souhaite bonne chance aux auteurs!