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Université de Montréal

Corriger, c’est long

Mais il est possible de tromper l’ennui inhérent au travail d’évaluation en gérant mieux les attentes et, surtout, en ne bridant pas la créativité de ses étudiants et étudiantes.

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Dans : Blogue

Nous voilà en février. Le mois de janvier a été inhabituellement doux, le temps des fêtes un peu gris, mais j’espère que ces quelques jours de congé, qui nous semblent déjà loin, vous auront permis de vivre des moments de bonheur en famille et entre amis. Les retrouvailles et la chaleur humaine, par les temps qui courent, c’est précieux. Surtout au milieu d’une panne de courant.

 

Quand le mythique album de Noël de Mariah Carey tourne en boucle chez moi, j’ai toujours une petite pensée bienveillante pour ceux et celles qui consacrent une bonne partie du congé des fêtes à la tâche parfois ingrate de corriger les examens, les travaux, les essais, les dissertations et autres productions écrites de leurs classes. Il faut bien l’admettre : c’est un exercice assommant. Je n’enseigne pas à l’heure actuelle, mais je garde un souvenir un peu lourd des heures passées à lire, commenter et noter des douzaines de cahiers d’examen ou une enfilade de travaux de session. Quelque chose comme un tribut à payer en échange de la carrière et des expériences extraordinaires que nous offre la vie universitaire. Corriger, c’est long, répétitif et le plus souvent décevant.

 

Long, répétitif, décevant. Il y a matière à réflexion ici. Corriger, c’est long, mais il n’existe pas beaucoup de moyens de réduire le temps nécessaire pour évaluer les productions des étudiants et des étudiantes – du moins quand on veut le faire de manière sérieuse et utile pour la suite des choses, y compris la rétroaction éventuelle aux uns et aux autres. Mais pourquoi ai-je été souvent déçu de la qualité des travaux et examens remis? Mes étudiantes et mes étudiants étaient pourtant brillants, triés sur le volet. Mes cours étaient solides et plutôt bien livrés, du moins de mon point de vue bien subjectif. J’aurais dû pouvoir compter, statistiquement parlant, sur une proportion élevée de cahiers d’examen tout à fait satisfaisants et sur au moins quelques perles inspirantes et réjouissantes. Bon an, mal an, j’aurais dû terminer l’exercice de correction avec le sentiment du devoir accompli : encore une autre cohorte bien informée des grands enjeux et des tenants et aboutissants de la matière que j’enseignais. Pourtant, non, c’est trop souvent l’impression de ne pas avoir été entendu dans toute la richesse de mon propos (!) qui m’habitait. Beaucoup d’autres collègues vivaient la même déception.

 

Mystère? Non. Une partie de l’explication réside dans une mauvaise gestion des attentes. C’est un peu comme pour les fameuses « listes de souhaits » qu’on prépare en vue des échanges de cadeaux. Entre les optimistes qui laissent place à la créativité avec « Faites-moi une surprise » et les contrôlants qui réclament « une paire de gants de cuir bruns, taille TG, de marque Bugatti, que j’ai fait mettre de côté au comptoir de maroquinerie chez Simons », il y a toute une gamme de stratégies et un vaste potentiel de déceptions.

 

En d’autres termes, pour éviter d’être déçu de la performance des étudiants, il me semble qu’il faut formuler des attentes claires, alignées sur des objectifs d’apprentissage explicites, et tester la compréhension de la matière déjà vue à partir de ce qui a été réellement fait dans le cours. J’ai plus d’une fois fait fausse route à cet égard. Formuler une question sur un sujet qui n’a jamais été discuté en classe, en espérant que les meilleurs puissent, à partir de ce qu’ils ont appris, s’y retrouver et ainsi se démarquer, ce n’est pas une bonne recette. Demander au moment d’une évaluation d’exécuter un exercice que personne n’a jamais pu essayer en contexte d’apprentissage, ça produit de manière prévisible des résultats décevants. Préparer délibérément un examen trop long pour le temps imparti (ce qui favorise les personnes rapides, mais pas nécessairement les plus douées), mauvaise idée aussi.

 

Un autre facteur peut expliquer en partie pourquoi les professeurs sont souvent déçus par les réponses données dans les cahiers d’examen ou par les travaux de session. C’est l’impression de lire la même chose encore et encore, parfois dans les mêmes mots – peut-être tirés de notes de cours standardisées, facilement accessibles désormais. C’est d’autant plus vrai si les mêmes questions d’examen sont reprises année après année.

 

Les étudiants et les étudiantes sont naturellement et rationnellement réfractaires au risque. Quand on a un œil sur sa moyenne, il est plus rassurant de répéter des lieux communs, de s’en tenir aux idées éprouvées, voire de régurgiter à l’identique ce qui a été enseigné, que de sortir des sentiers battus, de faire preuve de créativité et d’originalité ou de prendre le contrepied des thèses dominantes. C’est moins vrai pour les examens oraux, dont j’ai fait l’expérience à quelques reprises et où la différence parvient à s’exprimer plus nettement. Mais à l’écrit, beaucoup ont de bonnes raisons de ne pas dépasser « le premier tour de l’évidence », même s’ils ont le potentiel d’aller beaucoup plus loin. Pourtant, je n’ai jamais été aussi fier de mes étudiantes et étudiants que lorsque j’ai libéré leur parole en les encourageant à s’approprier la matière dans leurs propres mots. Cela ne fonctionne que si cette exploration est explicitement encouragée et associée à de bons résultats et qu’on leur donne la chance de la mener tout au long du trimestre. À l’examen, il est trop tard. Peu d’entre eux oseront.

 

En somme, pour tromper l’ennui de la correction et donner aux personnes qu’on évalue une vraie chance d’exposer leur maîtrise de la matière, il faut à la fois exprimer des attentes claires et autoriser la créativité. Quelque part entre « Surprenez-moi » et « Je préfère une carte-cadeau de Starbucks ». C’est le moment d’y penser, même si la fin du trimestre est encore loin, parce que l’évaluation doit être conçue comme une partie intrinsèque du cours, plutôt que comme son aboutissement.

 

Daniel Jutras

 

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