Lorsque je vais avec ma famille dans une certaine chaîne de restauration bien connue, l’esprit d’aventure est rarement au rendez-vous. Personne ne regarde le menu. Pas de détresse existentielle, on prend toujours la même chose. C’est prévisible, fonctionnel, rassurant et bourratif à souhait. Et la salade de choux, c’est toujours « traditionnelle », quoi qu’il arrive.
Quand je pense à la division temporelle de l’enseignement universitaire, je fais un peu le même constat. Nous ne sommes pas très aventureux. Dans la plupart des universités, on parle généralement de trimestres d’automne et d’hiver s’étalant sur plus ou moins trois mois. Le cours universitaire typique se donne à raison de trois heures par semaine, le plus souvent en un seul bloc. Dans la plupart des disciplines, le programme à temps plein est organisé de manière que l’étudiant ou l’étudiante jongle avec trois, quatre ou cinq matières chaque trimestre. Les périodes d’examens varient peu : des intras, des finaux, dont la coordination sur une quinzaine de jours exige des efforts logistiques importants. C’était comme ça quand j’ai commencé à enseigner, il y aura bientôt 40 ans. Ça n’a pas beaucoup changé depuis.
Je me demande parfois si nous en sommes arrivés là après des années d’essais et d’erreurs avant de trouver la meilleure configuration du point de vue pédagogique. Permettez-moi d’exprimer un petit doute à cet égard. Certes, l’horaire standard présente plusieurs avantages. Il simplifie grandement la logistique de la distribution des salles de cours et de la composition des horaires. Il permet aux membres du personnel enseignant ‒ les profs tout autant que les chargés et chargées de cours ‒ de gérer plus facilement leurs autres engagements professionnels, y compris le temps consacré à la recherche et à l’encadrement. Pour les étudiantes et les étudiants, il favorise peut-être une certaine mobilité interdépartementale ou interfacultaire. On peut aussi imaginer qu’un bloc de trois heures consécutives permet des discussions plus approfondies, des sorties sur le terrain, ou des activités en laboratoire plus soutenues.
Mais on peut également imaginer que le bloc de trois heures provoque l’ennui si le cours n’est pas structuré, planifié de manière à soutenir l’attention et la participation active. C’est long, trois heures. Que les consultations des réseaux sociaux se multiplient à mesure que le cours avance n’aurait rien d’étonnant. Que l’enseignement d’une matière sur 12 ou 13 semaines, multiplié par quatre ou cinq cours, comporte des coupures cognitives qui nuisent à l’apprentissage, ce n’est pas impossible. Ou qu’à l’inverse cette période de trois mois soit trop brève pour acquérir des compétences, c’est concevable.
Il n’y a pas de réponse simple à ces questions, mais il me semble qu’on devrait tout de même se les poser. L’organisation temporelle d’un cours, comme son organisation matérielle, devrait idéalement être pensée en fonction des objectifs pédagogiques plutôt que de se conformer systématiquement à une norme dont on a cessé de remettre en question la validité. Il n’y a rien d’immuable ou de magique dans le bloc de trois heures ni dans l’étalement d’un cours sur tout un trimestre. D’autres formules existent, à l’Université de Montréal et dans d’autres établissements de calibre équivalent. Il y a des cours offerts en blocs plus courts, deux ou trois fois par semaine; des cours donnés en accéléré, sur une période intensive, comme on le voit parfois durant la session d’été ‒ un sujet à la fois pendant trois ou quatre semaines par exemple; des cours étalés sur deux trimestres pour donner aux étudiants et aux étudiantes le temps d’assimiler les contenus; des cours hybrides où le temps passé en classe chaque semaine n’est plus le seul à compter lorsqu’il est combiné avec le recours à d’autres plateformes de communication; et même des cours en blocs de trois heures où le temps disponible est utilisé de manière variée et dynamique, en lien avec les objectifs d’apprentissage.
Pour le dire simplement, il faudrait pouvoir faire entrer l’horaire dans le cours, plutôt que de faire entrer le cours dans l’horaire. Dans un monde idéal, le cadre temporel de l’enseignement serait plus flexible, plus fluide, mieux aligné sur les visées du cours, en fonction des meilleures pratiques pédagogiques.
Je ne suis pas naïf. C’est compliqué de changer de paradigme, et les contraintes matérielles et logistiques ne sont pas imaginaires. Mais l’excitation qui vient avec la remise en question, c’est bien réel aussi. « L’aventure, c’est l’aventure! »
La prochaine fois, j’essaie la crémeuse.
Daniel Jutras
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