Quelques milliers de nos étudiants et étudiantes sont montés sur la scène à la fin du mois d’août à l’occasion de nos cérémonies de collation des grades. J’ai participé à toutes ces cérémonies ‒ 12 en tout réparties sur un peu moins d’une semaine ‒ et mon plaisir d’y être n’a fait que grandir au fil des jours. Voir le bonheur, la fierté, la confiance et même la gratitude et le soulagement s’inscrire sur le visage de toutes ces personnes diplômées au moment de recevoir leur parchemin, c’est un très grand privilège. Assister aux collations des grades, c’est l’un des meilleurs moyens de mesurer toute l’importance de la mission universitaire et la chance extraordinaire que nous avons d’y contribuer.
En retournant à la maison après la dernière cérémonie, aussi fourbu que ravi, j’ai eu une petite pensée pour les absents, ceux et celles dont le parcours universitaire s’est terminé sans succès. Rien d’étonnant que cela me vienne en tête : la persévérance et la réussite sont des enjeux qui occupent beaucoup d’espace dans la gouvernance universitaire, sans parler du fait qu’on a encore beaucoup de chemin à parcourir avant de pouvoir dire que toutes les personnes qui souhaitent accéder à l’université jouissent des meilleures conditions pour le faire. Pas besoin d’étaler les statistiques ici. La proportion des titulaires d’un baccalauréat ou d’un diplôme de deuxième ou troisième cycle est en croissance au Québec, mais on a un retard à combler. On pourrait au moins souhaiter que les gens qui sont admis à l’université puissent revêtir la toge et le mortier, comme des milliers l’ont fait ces dernières semaines.
Les causes de l’échec sont multiples et la bataille doit être menée sur plusieurs fronts, comme ceux de l’aide financière, des mesures de soutien à la santé mentale et physique, des programmes de francisation, du rehaussement des compétences en rédaction et j’en passe. L’Université de Montréal y travaille assidûment.
Quel est le rôle des profs et des chargés de cours dans la réussite étudiante, au-delà de ces mesures institutionnelles? J’avoue que cela me turlupine depuis qu’on a utilisé devant moi l’expression cours guillotine, que je n’avais jamais entendue. Elle décrit de manière imagée une réalité que les étudiants et les étudiantes connaissent bien : certains cours ont un taux d’échec très élevé et constituent un obstacle à franchir pour quiconque aspire à terminer son programme d’études.
Faut-il s’en inquiéter ou plutôt s’en réjouir? D’une part, l’université n’est pas une usine de bonbons. Elle doit pouvoir attester publiquement la compétence et les connaissances des personnes auxquelles elle remet des diplômes. Il est normal que l’université fixe des balises à partir desquelles seront déterminés les succès et les échecs. D’autre part, l’atteinte des cibles fixées pour un programme donné n’est pas la seule responsabilité de l’apprenant. On ne peut pas se contenter de dire à la personne qui échoue qu’il lui suffisait de travailler plus fort pendant qu’on actionne la guillotine. La qualité, la rigueur et l’intégrité de nos programmes ne sont pas incompatibles avec une culture de l’accompagnement, qui appelle le corps enseignant à un rôle plus actif dans la réussite étudiante.
À l’époque où j’étais doyen, j’ai reçu des appels à l’aide de gens inscrits au cours de l’un de mes collègues. Semaine après semaine, le professeur en question abordait des notions obscures dans une perspective complexe, s’appuyant sur un niveau de connaissances qui était hors de portée de ses étudiants et ses étudiantes. À quelques exceptions près, tout le monde dans sa classe était totalement perdu. Quant au professeur, il lui était égal qu’à peu près personne ne comprenne sa matière. Il en tirait même une certaine fierté. Il ne se sentait aucune obligation d’offrir un enseignement intelligible, aucune responsabilité dans le dialogue de sourds qu’il continuait à entretenir. « C’est à eux de courir plus vite pour me rattraper », disait-il. Encore aujourd’hui, je suis profondément convaincu qu’il avait tort.
Personne ne demande aux enseignants de nourrir les étudiants à la petite cuillère. Mais il n’est pas utile d’alimenter leur anxiété en plaçant la barre tellement haut qu’elle reste inatteignable, peu importe les efforts pour apprendre à sauter.
Daniel Jutras
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