Il y a quelques semaines, j’ai assisté au spectacle de Florence and the Machine, un groupe de musique indie rock qui lançait sa tournée mondiale dans un grand amphithéâtre près de Montréal. Je vois d’ici votre sourire moqueur et je vous entends : « Mais qu’est-ce que tu faisais là, vieux papi de 62 ans, au milieu de cette foule jeune et bigarrée? » Et je répondrai que, inconditionnel de Florence Welch, mais incognito, je faisais exactement comme toutes les autres personnes dans l’auditoire. La joie et l’exaltation étaient partagées également entre nous tous. D’ailleurs, je n’étais pas le seul sexagénaire dans la salle à sautiller les mains dans les airs et le sourire accroché au visage.
Ladite Florence est une personne extraordinairement charismatique, et son spectacle offre un formidable cas de figure pour la psychologie des foules. Je ne m’aventurerai pas sur ce terrain, n’ayant aucune expertise à cet égard. Cela dit, je constate mon grand plaisir à vivre ces manifestations culturelles « en présentiel ». J’ai ressenti des émotions analogues lors de concerts de l’Orchestre symphonique de Montréal ou encore au théâtre. Et aussi, parfois, dans la classe de quelques professeurs particulièrement éloquents. Le sentiment de vivre quelque chose de profondément humain en même temps que les autres ou peut-être au même rythme que les autres. Un certain effacement de soi au profit d’une vibration partagée ou d’une indicible communion des esprits.
Trêve de psycho-pop. Ma soirée à l’amphithéâtre Bell m’a amené à réfléchir à l’enseignement en présentiel. Depuis mon entrée en fonction, qui a coïncidé avec les heures les plus sombres de la pandémie de COVID-19, j’ai répété à maintes reprises que je ne présiderais pas à la dématérialisation de l’Université de Montréal. Que je croyais par-dessus tout aux vertus de l’interaction humaine sur nos campus. Que si nous pouvions voir plusieurs avantages à un recours organisé et réfléchi à la technologie qui permet l’apprentissage à distance, le cœur de nos programmes continuerait de battre en présentiel. Je continue de le croire, mais c’est une foi, disons, aveugle qui m’anime. Je crois au présentiel parce que j’aime le présentiel. Mais puisqu’on a fait la preuve pendant deux ans que l’apprentissage à distance, lorsqu’il est bien structuré, donne de très bons résultats, il faudra bien dépasser la pétition de principe qui valorise l’enseignement en chair et en os.
Plus précisément, l’expérience de la pandémie nous impose de réfléchir à ce qui devrait se passer en classe quand tout le monde est là et à la plus-value qu’on pourrait associer indiscutablement à ces rencontres sans médiation numérique. Je propose de tirer quelques constats, qui peuvent être débattus.
D’abord, on ne devrait faire en classe que ce qu’on ne peut pas faire autrement, dans un autre cadre ou sur une autre plateforme. La transmission unilatérale d’informations à un auditoire passif, par exemple, non merci. Ensuite, contrairement aux arts de la scène, il ne suffit pas de posséder un grand charisme pour justifier que tout un groupe se déplace pour nous entendre. D’ailleurs, l’inverse est tout aussi vrai. Les profs qui n’ont pas l’aura d’une vedette du rock peuvent néanmoins se montrer très efficaces en classe. Enfin, j’ose avancer qu’une large part des gains attachés au présentiel réside dans l’expérience partagée, de manière explicite ou implicite. Les étudiants et les étudiantes apprennent les uns des autres. Les questions que posent les uns peuvent rassurer les autres quant à leur niveau de compréhension ou encore ouvrir des horizons que le professeur n’avait pas anticipés. C’est sans doute possible dans un cours en ligne. Mais à mon sens, la présence de tous dans un même lieu favorise une dynamique où chacun est responsable de l’apprentissage commun tout autant que de son propre apprentissage. Encore faut-il pouvoir instaurer cette dynamique.
J’aime beaucoup l’idée qu’on puisse améliorer l’expérience étudiante en gardant en tête les fameux quatre « P » : des projets, menés avec les pairs, sur des enjeux dont la pertinence allume la passion de ceux et celles qui veulent apprendre. J’ai souvent trouvé là de bonnes réponses à la question qui devrait tarauder désormais chaque prof : qu’est-ce qui justifie que je fasse déplacer tout ce beau monde pour qu’il vienne s’asseoir sur une chaise dans un local anonyme au milieu du campus?
J’ai sans doute croisé plusieurs de nos étudiants et de nos étudiantes au spectacle de Florence and the Machine. Des personnes pleines de vitalité, d’énergie, de créativité. Pleines d’espoirs, aussi. Qui ne voudrait pas leur donner de bonnes raisons de passer du temps avec nous sur nos campus?
Daniel Jutras
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